Extrait 2 : la mélodie.

Chapitre II

La modalité d’être telle qu’elle est exprimée dans la mélodie

Les formes musicales d’expression rythmique, comme nous le montrerons dans la prochaine partie, ont évolué vers les formes d’expression mélodique. La mélodie est née de l’accentuation plus ou moins prononcée des sons d’un rythme.

L’accent mélodique :

Il est utile de parler ici de l’accentuation d’une phrase dans le langage parlé. Toute langue fait entendre des accents toniques dans son élocution. En français, cet accent est placé sur la dernière syllabe, ou sur l’avant dernière si la dernière est muette. Cet accent ponctue le discours et est nécessaire à la bonne compréhension de la langue.

Toutefois, il est un autre type d’accent, dit « accent expressif », qui permet de faire ressentir des émotions, ou de mettre en avant un mot pour lui donner plus d’importance, ce qui modifie bien sûr le sens de la phrase. Par exemple, une phrase anodine comme « Je vais chez un ami » prendra un tout autre sens si l’on marque par un accent le mot« vais » : – on insiste alors sur l’action d’y aller – ou bien sur le mot« Je » -on insiste alors sur la personne qui conduit l’action.  

Une mélodie est de la même façon traversée par un courant d’accentuation qui va du grave vers l’aigu, puis de l’aigu au grave. La première période peut être associée à l’idée de mouvement, la seconde à celle de repos. En effet, l’émotion est exprimée avec d’autant plus de force que l’accent mélodique est aigu, et ce dans la langue orale comme dans la musique. La phase ascendante est le moment ou l’intensité de l’expression s’accroît, d’où son association avec le mouvement. La seconde période est la conclusion de cette action, le retour à un état de repos1.

La première phase est parfois suggérée, et la mélodie attaque directement alors le sommet expressif. Ce procédé est d’une grande puissance suggestive.

Organisation de la phrase mélodique :

Une mélodie n’est que rarement parcourue par un seul courant d’accentuation. Le plus généralement, une mélodie est composée de périodes, elles-mêmes décomposables en cellules musicales. 

A chacune de ces cellules ou de ces périodes correspond un courant d’accentuation. Ainsi, on retrouve le phénomène d’arborescence étudié dans le rythme dans l’expression mélodique. Un courant d’accentuation principal structure l’ensemble de la mélodie, des courants secondaires en structurent les parties. Ici encore, c’est parce qu’il y a alternance de moments de mouvements et de moments de repos que l’esprit reconnaît une forme à la mélodie.

La force de l’accent mélodique :
La grandeur de l’ambitus de la mélodie, c’est-à-dire l’écart entre les notes les plus graves et la plus aiguë de celle-ci, marque la force de l’accent mélodique. Plus cet ambitus est important, plus l’accent expressif est puissant. Voilà pourquoi de grands accents mélodiques peuvent être associés à une idée de force, soit selon les autres éléments musicaux à une force expression de puissance, soit à une grande intensité dramatique.

Par exemple, les premières mesures du« Scherzo » de la « 5° Symphonie » de Beethoven marquent une grande force grâce à trois sauts d’octave. Ou bien « La mort d’Yseult » de Wagner marque dans son final une grande intensité dramatique grâce à la force de ses accents mélodiques.

Au contraire, le « Prélude en mimineur » de Chopin nous fait ressentir de la faiblesse ou de la fragilité grâce aux petits intervalles mélodiques utilisés dans le chant.

Nous verrons plus loin que parfois, l’accent mélodique principal de la phrase est fort, tandis que les accents des périodes ou des cellules sont faibles. 

Disposition de l’accent mélodique dans la phrase :

Selon la disposition de l’accent mélodique dans la phrase, l’effet expressif diffère notablement. 

Si l’accent mélodique est au début de la phrase, toute l’intention expressive est donnée au premier abord, et la mélodie est la conséquence de cette action. L’effet sera celui d’une contemplation (on contemple cette souffrance ou cette joie), comme peut le faire ressentir la première mélodie de la « Sonate Pastorale » de Beethoven. Ou bien, si le caractère rythmique est celui de l’agitation, l’effet sera péremptoire, comme si on intimait un ordre.

Si l’accent mélodique est en fin de phrase, l’effet sera plus dramatique. L’effort pour parvenir à ce sommet expressif est plus long, on est témoin de l’action engagée pour y parvenir. Une brève conclusion à  cet effort peut avoir un grand effet dramatique, ou parfois suspensif (comme si on demeurait « suspendu » à ce sommet), ou encore dépressif (« tout cela pour rien ! »). Si la phase descendante est omise, l’effet est encore plus prononcé. Si la phase descendante est inattendue, l’effet peut être comique.

Si l’accent est au centre de la phrase, l’effet est celui de la souveraineté de l’accent sur la phrase qu’il ordonne et sur laquelle il rayonne.



Le climax :
On appelle climax le sommet expressif d’une œuvre musicale, qu’il s’agisse d’une chanson ou d’un mouvement symphonique. Le climax concentre toute l’intention du compositeur, il est l’aboutissement réel de son  effort d’expression. Sa structure mélodique est souvent moins audible d’ailleurs que lors de l’exposédes idées principales. L’émotion l’emporte alors sur toute autre considération, et donc le mouvement rythmique et harmonique l’emporte généralement sur la clarté mélodique.

Les règles d’expression du climax sont les mêmes que celles de l’accent dans la phrase, mais rapportées à la forme.

Par exemple, le « Prélude de Tristan etYseult » de Wagner a un fort effet dramatique car le climax est à la fin du morceau, il est de plus extrêmement aigu, joué fortissimo. L’effet est d’autant plus dramatique que la phase de résolution est à peine esquissée, pour ne pas dire absente : elle sera du même coup l’opéra tout entier. On peut imaginer des œuvres dans lesquelles le climax serait entendu au début. L’effet serait celui d’une grande contemplation, mais la difficulté sera de maintenir l’attention de l’auditeur jusqu’à la fin du mouvement. Le « TabulaRasa » d’Arvo Pärt est un exemple de ce genre de forme : une note très aiguë et très forte est entendue au violon solo. Puis toute la pièce joue pianissimo des mélodies itératives.


Notes :

1La bonne maîtrise de la théorie du courant d’accentuation mélodique permet souvent de faire chanter juste une personne qui s’en révélait jusque là incapable. Bien souvent, ces personnes ne comprennent pas qu’il leur faut extérioriser leurs émotions pour chanter juste, et ânonnent leur texte d’une façon monocorde. En les faisant dire l’accent à réaliser, d’une façon exagérément exclamative, comme le ferait un acteur jouant un grand excité, puis en le leur faisant ensuite chanter, on parvient souvent à faire chanter juste ces personnes. C’est la méthode qui s’est de toutes révélée la plus efficace car permettant à l’élève une prise deconscience juste de ce qu’est fondamentalement une mélodie.

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